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ÉDEN - Livre I - L'Appel de la Corneille

⛧Elle pensait emménager au Paradis. Bienvenue en Enfer !⛧

Londres, samedi 30 août

 

Érin McKenzie n’en était pas à sa première mission d’infiltration au sein d’une secte. Elles pullulaient depuis que l’archipurgateur Xaphan et ses adeptes avaient massacré et mutilé des centaines de milliers de croyants dans le but insensé de détourner le monde des grandes religions.

Pour conserver la confiance du chef de la Congrégation Luthérienne Sataniste, l’inspectrice de Scotland Yard accepta d’ingérer une substance mystérieuse au cours d’une cérémonie, célébrée dans le sous-sol d’un bar de Londres. Elle perdit conscience. Un vieux cauchemar ressurgit, un songe dans lequel ses parents l’enterraient vivante, sous le regard d’une corneille et d’un spectre morbide lui ayant emprunté son visage.

Quand elle se réveilla, Érin apprit avec stupéfaction que le gourou lui avait fait boire de la Lymphe Noire, appelée aussi ténébrine, une nouvelle drogue de synthèse qu’il escomptait importer en Angleterre. Durant le rendez-vous avec le fournisseur, les renforts de police intervinrent et Érin mit le leader de la secte aux arrêts.

L’inspectrice irlandaise, qui avait migré à Londres pour fuir le carcan de ses parents, retrouva son parrain dans une ruelle qui jouxtait le bar sataniste. Sean Sinclair travaillait pour le Home Office, le ministère de l’Intérieur britannique. Il l’informa, un peu à contrecœur, que sa mutation dans la ville d’Éden avait été approuvée.

Ravie de rejoindre sous peu le nouveau Paradis terrestre dont elle rêvait depuis l’adolescence, Érin projeta de fêter la nouvelle comme il se devait, mais son supérieur hiérarchique, Laurence Hastings, se dressa sur son chemin. En tant qu’ancien amant encore attaché à elle, il espérait bien la convaincre de rester à Londres, mais l’inspectrice l’envoya balader.

Alors qu’elle s’imaginait déjà terminer la nuit avec le premier bellâtre qu’elle croiserait dans un pub, Érin ignorait qu’elle était suivie. Un assassin étrange, bondissant de toit en toit, occultait chaque source de lumière sur son passage. L’occasion de fondre sur sa proie se présenta rapidement. Dans l’obscurité, la policière ne verrait pas le coup venir…

Éden, jeudi 4 septembre

 

Luisa Herrera avait beaucoup travaillé pour intégrer l’université édenienne. Toute sa famille, restée en Espagne, comptait sur elle pour devenir la meilleure ingénieure de sa génération. Luisa étudiait depuis quelques jours les applications de la Luminescence. Cette nouvelle énergie avait mis fin à la Crise de Djeddah, quinze ans plus tôt. Elle assurait un avenir prospère à Koron Industry, le consortium qui l’extrayait des entrailles de la Terre et l’exploitait dans de nombreux domaines.

Le soir venu, après une discussion complice avec l’une de ses colocataires sur le campus, Lindsay, Luisa se rendit à une fête donnée dans un bar du vieux centre. Elle y fut droguée et kidnappée.

 

« À bout de force, incapable de comprendre ce qui lui arrivait, l’étudiante perdit connaissance avant d’avoir atteint le coffre de la voiture où le pseudo-samaritain l’enferma sans ménagement. »

 

 

Éden, lundi 29 septembre

 

Peter regrettait déjà d’avoir accepté de rencontrer l’un de ses contacts au Midas Club, un bar fréquenté par les golden boys de Tower District, le quartier d’affaires édenien. Après un long moment passé à fixer la chaîne d'information et à critiquer intérieurement les reportages frôlant la propagande, Peter éteignit le téléviseur, engendrant une altercation avec un fervent adepte de l’émission.

Celui qui était en réalité un inspecteur de police ouvrit le feu sur l’écran de télévision avant de tirer sa révérence sous le regard terrifié des clients. Son indic lui avait fait faux bond, mais Peter n’était pas surpris. Quand il s’agissait de récolter des renseignements sur le Syndicat, la mafia édenienne, la loi du silence régnait en maîtresse.

 

« Cette contrée qui se prétendait bénie des dieux tirait sa lumière de la terre ; l’inspecteur regrettait qu’en contrepartie, elle se soit privée de celle des astres. »

 

 

Mardi 30 septembre

 

Avant de devenir un agent du Bureau d’Enquêtes Criminelles – abrégé BEC, sorte de FBI à la française – à Éden, Peter Bull avait mené une brillante carrière de policier à New York. L'Américain, désormais âgé de cinquante-trois ans, avait eu son moment de gloire en passant les menottes à l’archipurgateur Xaphan, le gourou irlandais qui avait orchestré la Grande Purge. Cependant, celui que l’on surnommait « le Pitbull » traînait aussi derrière lui une sale réputation due à son mauvais caractère.

Cet enquêteur accro au bourbon et aux boissons énergisantes était le seul flic qui se souciait des touristes et des étudiantes étrangères qui disparaissaient mystérieusement des rues d’Éden depuis quelque mois. La dernière en date, Luisa Herrera, n’avait que dix-neuf ans. Peter soutenait que le Syndicat était responsable de ces enlèvements, mais les institutions édeniennes étaient si corrompues qu’aucun magistrat n’osait s’attaquer à Roman Marciniak, le parrain supposé de l’organisation.

Le commissaire Lescure convoqua Peter dans son bureau et lui confia l’une des affaires du capitaine Fouché ; ce dernier avait décidé de prendre un congé afin de s’occuper de sa fille, Caroline, laquelle venait de tenter de se suicider. Peter objecta, mais Lescure ne lui laissa pas vraiment le choix. En outre, il tenait à lui présenter sa nouvelle coéquipière : une certaine Érin McKenzie.

 

 

FLASH-BACK : 24h plus tôt.

 

Durant les semaines qui avaient précédé son départ, Érin avait mis en ordre ses affaires à Londres. Elle s’était également fâchée avec ses parents totalement opposés à son emménagement à Éden – véritable Babylone biblique selon eux – et avait repoussé les tentatives de reconquête de Laurence Hastings en envoyant un screenshot de ses avances à sa femme. Érin se promit de ne plus jamais sortir avec un collègue, ni avec les bad boys qui lui avaient toujours apporté des problèmes. Elle estimait qu’à trente-deux ans, il était temps d’éviter les histoires d’amour foutues d’avance.

Arrivée à Éden, l’inspectrice s’installa à l’hôtel Debussy en attendant de trouver un appartement. Le lendemain, elle se rendit à l’hôtel de police afin d’être officiellement intégrée au BEC, obtenir son équipement réglementaire et passer une évaluation psychologique. Érin détestait les psys. Par expérience, elle omit de mentionner certains détails de sa vie lors de cet entretien, notamment sa tendance à faire des cauchemars qui en auraient traumatisé plus d’une.

 

 

Mardi 30 septembre

 

Peter Bull, qui multipliait les coéquipiers depuis le départ à la retraite de son mentor, Robert Girardin, refusa de travailler avec cette inspectrice irlandaise qui ne connaissait pas les rouages d’Éden. Cependant, puisque Lescure l’y obligeait, Bull paria avec sa nouvelle partenaire qu’elle ne tiendrait pas deux mois. Le quinquagénaire était un alcoolique invétéré, un emmerdeur professionnel doublé d’un macho grossier qui ferait son possible pour pousser McKenzie à la démission.

Les deux inspecteurs commencèrent néanmoins à passer en revue l’affaire du capitaine Fouché. Des semaines plus tôt, en pleine nuit, le gardien du lycée Saint-Thomas, Denis Mignot, avait été tué au cours d'une fusillade. Un lieutenant de police, Julian Tarascon, surnommé « Tarask », présent sur les lieux pour une raison inconnue, avait été retrouvé inconscient dans le réfectoire. S’il avait été durant un temps accusé du meurtre – les balles de son pistolet ayant été identifiées dans le cadavre de Mignot – il s’avérait que ce dernier était en réalité décédé d’une perforation du cœur, dont le point d’entrée, large comme un poing, se situait au niveau du dos. D’après Bull, c’était typiquement le genre d’affaires louches que l’on attribuait à Lionel Fouché, dit « le Fossoyeur », afin qu’il la classât sans faire de vagues.

 

« Quand vous aurez cinquante-trois balais, comme moi, vous repérerez d’un coup d’œil les affaires qui ne sont pas destinées à être résolues. En attendant, je vais vous donner quelques indices qui ne trompent pas. Un, à l'origine, on a confié ce meurtre à Lionel Fouché, l’inspecteur qui détient le nombre de crimes non élucidés le plus élevé du Bureau. Deux, Tarask nous cache des informations capitales sur ce qui s’est réellement passé ce soir-là au lycée. Trois, la scène de crime a été lessivée en un temps record. C’est le tiercé gagnant des dossiers pourris. »

 

 

Mercredi 1er octobre

 

Peter et Érin se rendirent dès le lendemain à Saint-Thomas afin de vérifier qu’aucun indice n’avait été négligé. Si l’inspecteur affirmait qu’ils perdaient leur temps, l’Irlandaise, elle, comptait bien faire de son mieux pour épater ses collègues. Ils rencontrèrent le proviseur Victor Swan qui les mena aux différents endroits de la fusillade : le couloir où Mignot avait été retrouvé mort, la bibliothèque criblée de balles et le réfectoire. Après une énième remarque inconvenante de Peter Bull, Érin monta seule sur le toit ; un des gardiens de la paix envoyés sur place la nuit du meurtre y avait aperçu une silhouette. Son coéquipier la rejoignit et continua à lui manquer de respect. Érin le menaça de le pousser dans le vide, ce qui le laissa de marbre. Cependant, lorsqu’elle dégaina son pistolet et le pointa vers l’entrejambe de Bull, l’arrogance de celui-ci fondit comme neige au soleil.

 

« À présent que j’ai votre attention, j’aimerais mettre deux ou trois choses au point, annonça l’enquêtrice. Je ne suis pas votre « chérie ». Vous allez garder vos surnoms pour vous à partir de maintenant. Cette ville me plaît et je trouve déjà ce boulot passionnant, quand vous n’essayez pas de le saloper, alors je ne suis pas près de partir. Vous allez devoir composer avec moi, que vous le vouliez ou non. J’ignore dans quel bois étaient taillés les pauvres flics que vous avez poussés à la démission, à la mutation ou au burn-out, mais une chose est sûre : je ne suis pas comme eux. Il serait peut-être temps de vous enfoncer ça dans le crâne. »

 

Le macho s’engagea à faire un effort pour que leur collaboration se passât bien. Selon le Pitbull, la piste du toit était à écarter puisque, officieusement, le jeune policier qui prétendait y avoir discerné une présence décrivait celle-ci comme la silhouette d’un moine bouddhiste ; une erreur, assurément. Avant de quitter l’établissement, Érin aperçut une corneille, perchée sur l’une des tours du lycée, qui semblait la fixer.

 

 

Au cours des dix jours qui suivirent, Érin refusa de clore l’affaire Mignot tant qu’elle n’aurait pas réétudié tous les indices et interrogé le lieutenant Tarascon. Celui-ci, suspendu le temps de l’enquête, n’avait pas laissé d’adresse. Malgré des états de service déplorables, Tarask bénéficiait de la protection de Thomas Bergier, le Conseiller municipal Adjoint à la Sécurité Intérieure (CASI) ; pour ainsi dire, le chef de la police.

Les rapports d’Érin et Bull s’améliorèrent un peu. La lieutenante apprit à connaître cet ancien Marine renvoyé de l’armée, flic intrépide ayant intégré le BEC de Marseille quinze ans plus tôt, puis celui de Lyon et enfin, celui d’Éden. Elle l’écouta se lamenter sur son divorce, sur sa fille de onze ans qu’il ne voyait presque plus et la corruption ambiante qui gangrénait la Cité de Lumière.

Un soir, alors qu’elle ne trouvait pas le sommeil, Érin se rendit à un bar, le Buveur du Val, et se fit accoster par un homme charmant. Pendant qu’il leur commandait un verre, l’inspectrice crut identifier son oncle Sean assis à une table. Ce dernier ne la reconnut pas, mais il l’avertit qu’elle était en danger et lui conseilla de quitter la ville.

Le dragueur revint vers Érin, les mains chargées de cocktails qui ne lui inspirèrent pas confiance. Les clients, soudain changés en zombies hostiles, se jetèrent sur la policière. Alors qu’elle croyait se réfugier dans les toilettes du bar, Érin se déboula dans ce qui ressemblait à une maison funéraire égyptienne. Elle eut à peine le temps de remarquer un coffre entouré de quatre petits vases qu’elle fut attaquée par l’homme qui avait cherché à l’empoisonner. Son corps était composé d’une brume noire cauchemardesque, insaisissable, mortelle.

Au cours de la bagarre, Érin attrapa une dague disposée sur une table d’embaumement, frappa à l’aveugle, et poignarda accidentellement son oncle Sean. Dans un ultime soupire, il prononça les mots « Trouve le cluricaune ».

De nouveau prise pour cible par le monstre de brume, l’inspectrice parvint à le décapiter à l’aide de la lame dissimulée dans le parapluie de son parrain. Elle se réveilla aussitôt de ce terrible songe.

 

« Malgré les bienfaits de l’oxygène, Érin peinait à reprendre son souffle. Elle sentait encore un poids sur la poitrine, et son corps dégoulinant de sueur ne semblait pas totalement répondre aux consignes de son cerveau. Elle se trouvait dans sa chambre, clouée dans ses draps trempés. Paniquée, elle s’efforça de se concentrer sur sa respiration. Tout va bien. Ce n’était pas réel. Tout va bien. Son subconscient n’avait pas l’air de cet avis. Les derniers mots de Sean avaient laissé une empreinte ardente sur son esprit. Trouve le cluricaune, répéta l’enquêtrice. Qu’est-ce que c’est que ce délire ? »

 

 

Samedi 11 octobre

 

Deux soirs plus tard, alors qu’Érin avait presque oublié les détails de son rêve horrifique, Bull et sa coéquipière cueillirent Julian Tarascon à la sortie du Musée des Civilisations. Le flic à la réputation sulfureuse invita les deux agents du BEC à discuter autour d’un verre. Quelle ne fut pas la surprise d’Érin de découvrir que le pub irlandais où Tarask les conduisit se nommait « le Cluricaune » !

Comme Bull l’avait prédit, Tarask les baratina sur les raisons de sa présence à Saint-Thomas la nuit du meurtre de Denis Mignot. Le flic marginal affirma que la victime était un parieur invétéré et qu’il devait de l’argent à Roman Marciniak, le chef du Syndicat. Puisque Julian Tarascon avait lui-même essayé de faire tomber le parrain par le passé – avant de renoncer pour d’obscurs motifs –, Bull supposait qu’il connaissait l’emplacement du casino clandestin de la mafia. Hélas, Tarask refusa de collaborer.

Le propriétaire du pub, Finbar O’malley, affublé du sobriquet « Cluricaune » en raison de sa petite taille et de son physique disgracieux, s’incrusta dans la conversation. Ignorant qu’il avait affaire à des policiers intègres, ce faux-monnayeur volubile vendit la mèche sur son activité illégale. Il n’eut donc d’autre choix que de renseigner Bull sur le tripot du Syndicat s’il ne voulait pas finir sous les barreaux, au grand désespoir de Tarask. D’après O’Malley, le casino secret de Marciniak se trouverait au sous-sol de l’hôtel Élysion.

Avant que les inspecteurs ne quittassent le pub, le Cluricaune offrit un écu porte-bonheur à Érin ; un cadeau de leur Irlande natale qu’il prétendit, sur le ton de l’humour, avoir volé à un Léprechaun.

Bull était convaincu que les jeunes femmes kidnappées étaient retenues dans ce tripot fréquenté par les pontes du trafic d’êtres humains. Consciente que son binôme n’en démordrait pas, Érin accepta de l’aider à explorer cette piste. La discussion tourna court quand les enquêteurs furent appelés sur une scène de crime.

Le manoir de Luc Abemus, PDG du consortium Koron et découvreur de la Luminescence, venait d’être cambriolé pendant la fête d’anniversaire de son fils, Lincoln. Des agents du service d'ordre avaient perdu la vie en protégeant le musée privé du milliardaire. Les voleurs avaient également retourné le cabinet de travail adjacent, dans lequel on avait retrouvé Lincoln, inconscient. Au-dessus de la porte trônait le portrait de Marie-Eléonore Abemus, princesse de La Marck et femme défunte du PDG.

Pendant qu’Érin inspectait l’abominable scène de crime, Bull s’entretint avec Fabrice Caserio, chef de la sécurité de Koron Industry et directeur général de sa filiale Hipparkhos. Le Conseiller Adjoint à la Sécurité Intérieure, Thomas Bergier, invité à la fête, fit irruption dans le musée et demanda à être tenu informé de l’avancée de l’enquête.

Un bruit suspect provenant d’un secrétaire ancien attira l’attention des policiers. À l’intérieur s’était réfugié Anthony Wén, l’un des agents de sécurité, visiblement en état de choc suite au massacre de ses collègues. Il parlait en chinois, affolé, pour ne pas dire possédé. Quand Fabrice Caserio tenta de le calmer afin d’éviter qu’il ne fût abattu, Wén se jeta sur lui. Un jeune gardien de la paix vint en aide au chef de la sécurité. Ensemble, ils neutralisèrent le forcené.

Le CASI décida de mettre fin au congé de Lionel Fouché et de lui confier cette enquête. Bull vit dans cette manœuvre une volonté de dissimuler les éléments qui pourraient compromettre la réputation de Luc Abemus.

Écartés de l’affaire, Érin et Bull discutèrent avec Léo Drouet, le gardien de la paix qui était intervenu face à Wén. Il s’agissait de l’agent ayant déclaré avoir aperçu un moine bouddhiste sur le toit de Saint-Thomas, la nuit du meurtre de Mignot. Drouet maintint son témoignage abracadabrant et informa les enquêteurs de l’existence d’un second cadavre, calciné, dans les couloirs du lycée. Le capitaine Fouché et le Dr Bichara, le légiste, auraient insisté pour que cela n’apparût pas dans les rapports. Érin, sensible à la beauté du jeune policier, remit sa carte à ce dernier afin qu’il pût la contacter s’il venait à se souvenir de détails supplémentaires.

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Lundi 13 octobre

 

L’inspectrice tomba sur Julian Tarascon sur le parking de son hôtel. Sous ses airs de connard intrusif, Tarask s’inquiétait à l’idée que Bull entraînât Érin dans sa guerre contre le Syndicat, car derrière Roman Marciniak se cacherait un être encore plus dangereux que le parrain de la mafia, un certain Wang. Avant d’être éconduit, Tarask conseilla à l’Irlandaise de quitter Éden au plus vite.

 

« Il est inutile que j’essaie de convaincre Bull de laisser tomber sa croisade contre le Syndicat. C’est une tête de mule ! Ça fait dix piges qu’il bosse à Éden, et il n’a toujours pas perçu le véritable visage de cette ville, et encore moins du monde dans lequel on vit. »

 

 

Tarask téléphona à un mystérieux commanditaire pour lui annoncer qu’il avait respecté sa part du contrat : il avait suggéré à Érin McKenzie de quitter la ville et avait placé un traceur sur son véhicule. Après quoi, le flic marginal décida de profiter du reste de la nuit pour s’enivrer et festoyer.

 

 

Érin retrouva Léo Drouet au restaurant où il l’avait invitée. Elle espérait bien en apprendre plus sur l’affaire Mignot, mais puisque le jeune gardien de la paix lui plaisait, elle envisagea de passer un agréable moment en sa compagnie, même si cela signifiait renoncer à sa bonne résolution de ne plus sortir avec un collègue.

 

 

Sur un toit, en face du restaurant, un tueur à gages acheva d’assembler son fusil de précision. Il observa sa cible dans la lunette. Il ne lui restait plus qu’à presser la détente pour remplir son contrat. Une détonation retentit.

 

 

Julian Tarascon avait compris à temps les véritables intentions de son commanditaire. Peu enclin à devenir complice du meurtre d’une collègue, Tarask s’était servi du traceur placé sur la voiture d’Érin McKenzie pour la localiser et neutraliser l’assassin envoyé pour éliminer celle-ci. Il contacta, Mixtle, son nettoyeur personnel, afin qu’il fît disparaître le cadavre du sniper. Avant de partir, il observa la corneille posée un peu plus loin et y vit un mauvais présage.

 

« Quand le diable demande à la corneille de lui ramener un damné, nul ne sait si son choix se portera sur la victime ou sur son meurtrier. »

 

 

Le dîner se déroula à merveille. Érin était sous le charme de Léo, bien qu’elle le trouvât un peu timide. Avant de la ramener à son hôtel, le gardien de la paix conduisit l’inspectrice sur le barrage qui retenait les eaux du lac Tiamat. Ils contemplèrent tous deux les faisceaux des extracteurs de Luminescence, au loin, et le paysage magnifique qui s’offrait à eux. Une fois qu'ils furent arrivés au Debussy, Érin invita Léo à boire un dernier verre dans sa chambre, mais celui-ci se défila au dernier moment, prétextant devoir se lever tôt le lendemain.

 

 

Mardi 14 octobre

 

Le lendemain, Érin et Bull se retrouvèrent à l’institut médico-légale placé sous la direction du Dr Berthon, un vieil ami de Bull.

Le corps de Luisa Herrera avait été découvert, égorgé, dans une ruelle d’Éden. La victime présentait des signes de malnutrition et de séquestration. Le légiste avait décelé un fragment de peau sous un ongle de Luisa ; les analyses ADN étaient en cours.

Bull était bouleversé. Pendant qu’il passait un appel en dehors de la morgue, Érin s’entretint avec le Dr Berthon au sujet des cadavres qui s’accumulaient dans la crypte de l’IML à cause de la Lymphe Noire. Cette drogue récréative, consommée à l’excès, rendait les gens sujets à des crises de violence inouïes et décuplait leur force avant de les tuer.

Lorsque Bull réapparut, il confessa avoir accepté de clôturer le dossier Mignot afin de pouvoir travailler sur l’assassinat de Luisa Herrera, désormais différenciée de l’enquête de disparitions inquiétantes. Sa coéquipière en devint folle de rage. Ils se disputèrent et l’inspectrice partit en claquant la porte.

 

 

Érin décida de tenter le tout pour le tout avant que son binôme n’enterrât définitivement l’affaire Mignot. Les informations de Berthon lui avaient permis de comprendre que le tueur de Denis Mignot lui avait transpercé la colonne vertébrale et le cœur à main nue, grâce à la force conférée par l’absorption de Lymphe Noire. L’inspectrice se rendit au Musée des Civilisations afin d’exposer sa théorie à Julian Tarascon et d’enregistrer ses éventuels aveux.

Tarask se révéla en tant que fervent adepte des croyances égyptiennes antiques. Il reconnut sans trembler appliquer un châtiment létal aux êtres contre lesquels la justice s'avérait impuissante, comme l’assassin de Denis Mignot.

 

« Des individus malintentionnés vivent dans ce monde, des êtres qu’aucun système judiciaire ne peut mettre hors d’état de nuire. Je fais ce qui doit être fait avec beaucoup de dévotion. Alors quand je me présenterai devant le tribunal d’Osiris, ce ne sera pas avec un scarabée en toc sur le torse. Je n’userai d’aucun artifice et énumérerai la trentaine de fautes qui font de moi l’ordure que vous pensez que je suis. C’est sans honte que j’avouerai avoir tué ces monstres qui estiment avoir le droit d’arracher des vies comme on fauche les blés, parce qu’en agissant ainsi, mes semblables peuvent continuer leur existence sans se douter qu’ils sont passés à côté d’une mort horrible. »

 

Les deux policiers furent interrompus par l’arrivée de Malek Ibn Jafar, un homme charmant se présentant comme un diplomate de la Ligue des États Arabes, mais que Tarask qualifia d’espion. Malek transmit un message urgent à Tarask, ce qui mit fin à la conversation. Toutefois, ce dernier donna rendez-vous à Érin au lycée Saint-Thomas, le lendemain soir.

Satisfaite d’avoir enregistré le discours de son collègue justicier, Érin s’apprêtait à quitter le musée lorsqu’elle remarqua une collection de quatre jarres dans lesquels les embaumeurs égyptiens plaçaient le foie, les intestins, les reins et les poumons de leurs défunts. Elle était convaincue, pour une raison inexplicable, qu’il manquait un contenant parmi les vases canopes. Elle se remémora un coffre orné de deux lions et d’un soleil rouge, mais un guide lui assura qu’elle faisait erreur. En sortant de l’édifice, Érin aperçut une corneille perchée sur la tête du dieu-faucon, au-dessus de la porte.

 

 

Bull sortit en furie de son entretien avec le procureur. Il avait enfin rendu son rapport final sur l’affaire Mignot, mais avait appris par hasard qu’un meurtrier qu’il avait arrêté venait de demander une remise en liberté ; de quoi le dégoûter une fois de plus du système judiciaire.

En quittant le palais de Justice, Bull appela Léo Drouet, lequel lui avait fait une forte impression lors de l’altercation avec Anthony Wén. L’inspecteur l’avait donc fait transférer temporairement au BEC afin de recevoir un peu d’aide sur l’affaire Herrera. Drouet l’informa que l’ADN retrouvé sur le corps de Luisa correspondait à celui d’Edouard Favener, criminel multirécidiviste ayant décidé de démarrer une nouvelle vie comme agent de sécurité. Il aurait travaillé durant six mois dans une succursale appartenant à Roman Marciniak avant d’être engagé à Hipparkhos, la filiale assurant la protection du groupe Koron. Bull se réjouit de découvrir un lien, même mince, entre la victime et le parrain du Syndicat. Il emprunta une nav’copter et se dirigea vers la Tour Koron.

L’inspecteur obtint un rendez-vous au pied levé avec Fabrice Caserio, le chef de la sécurité du consortium. Autour d’un café, Bull prit des nouvelles d’Anthony Wén, interné en hôpital psychiatrique, et de Lincoln Abemus, indemne, au grand soulagement de son père. Bull se renseigna aussi sur ce qu’il était advenu de sa demi-sœur, Sophia, que Marie-Eléonore avait eue d’une union précédente. Caserio lui révéla que Luc Abemus l’avait mise à la porte quand elle avait eu dix-huit ans.

Caserio prétendit que suite à un mail anonyme dévoilant le casier judiciaire d’Edouard Favener, celui-ci avait été licencié trois jours avant le meurtre de Luisa. Le chef de la sécurité ne disposait que d’une fausse adresse et d’un numéro de téléphone qu’il accepta de confier à Bull.

 

 

Mercredi 15 octobre

 

Le lendemain, au commissariat, Jean-Sébastien Duhamel, technicien de la brigade cybercriminelle, informa à regret Érin qu’il n’avait pas réussi à récupérer l’enregistrement des aveux de Julian Tarascon. Sans doute avait-il utilisé un brouilleur avant de se confier sur ses méthodes dignes d’un justicier-bourreau.

L’inspectrice retrouva Bull dans leur bureau commun. Elle s’excusa pour s’être emportée la veille et s’enquit de l’avancée de l’enquête. Quand elle découvrit que son coéquipier avait fait appel à Léo Drouet pour pallier son absence, elle explosa de colère, convaincue que le Pitbull cherchait déjà à la remplacer. Ce dernier parvint à calmer le jeu, et ensemble, ils épluchèrent le casier d’Edouard Favener.

Grâce à son réseau d’informateurs, Bull avait appris que Finbar O’Malley prêtait souvent de l’argent aux anciens détenus afin de faciliter leur réinsertion à leur sortie de prison. Les agents du BEC retrouvèrent la trace du Cluricaune à l’hippodrome. O’Malley ignorait où Favener habitait, mais il indiqua aux enquêteurs où trouver son ex-compagnon de cellule, Tibor Laska.

 

 

Après un déjeuner dans une pizzeria, les inspecteurs se dirigèrent vers le chantier de rénovation du château où travaillait Tibor Laska, un braqueur d’origine slovaque. Érin ne sentit pas à l’aise à proximité de l’édifice archaïque ; elle l’avait toujours détesté, et maintenant qu’elle le voyait de plus près, il lui donnait des sueurs froides. Laska s’enfuit dès qu’il aperçut les agents du BEC. S’entama alors une course-poursuite en pleine foire médiévale qui finit par l’interpellation, non sans violence, du suspect.

 

 

Au cours de l’interrogatoire de Tibor Laska, Bull devina qu’il s’agissait d’un ancien purgateur ayant échappé à la justice. Afin de ne pas être extradé vers son pays où l’attendait la peine de mort, Laska décida de coopérer en révélant que Favener était devenu un fanatique vénérant une divinité infernale.

 

« Eddy parlait souvent d’un roi de l’Enfer et des démons qui peuplaient l’Abysse. Et puis, une nuit, je l’ai surpris en train de cracher sur le nom de Lucifer. Il disait que c’était un éternel perdant et que son véritable maître exigerait que le sang des innocents soit versé pour qu’advienne son règne sur la Terre. »

 

Le suppôt de Xaphan, très critique à l'égard du gourou qui l'avait perverti, prétendit n’avoir aucune idée de l’endroit où Favener se trouvait. Les inspecteurs élaborèrent un plan visant à se servir de Laska pour remonter jusqu’à leur principal suspect. Cependant, en apprenant qu’un ancien purgateur était en garde à vue, leurs supérieurs le confièrent immédiatement à Interpol.

 

 

Le soir venu, Érin attendit longtemps devant Saint-Thomas. Non seulement Tarask n’honora pas leur rendez-vous, mais en plus, il ne répondit pas à ses appels.

L’établissement était placé sous la surveillance d’une société privée lourdement armée, ce qui fit hésiter l’inspectrice à s’aventurer au-delà du mur d’enceinte. Toutefois, grâce au trousseau de Denis Mignot récupéré dans les scellés, Érin réussit à s’introduire dans le lycée et explora une section abandonnée de l’ancienne abbaye. Le craillement d’une corneille attira l’attention d’un garde sur la position de l’intruse, mais en se cachant, celle-ci trouva l’entrée d’un passage secret menant à une caverne.

Une paroi de pierre noire étrange lui renvoya un reflet terrifiant ; celui d’une Érin aux cheveux rouges et aux yeux suintants de cruauté. L’inspectrice s’intéressa ensuite à une partie de la grotte emmurée. Une fois la cloison abattue, elle découvrit un laboratoire abandonné ainsi que les squelettes de six adolescents portant l’ancien uniforme du lycée et un pendentif triangulaire.

À l’intérieur d’un registre arraché aux bras d’un cadavre, Érin lut une liste de noms, parmi lesquels celui de Jordan Gonthier, un élève ayant perpétré une tuerie de masse trente ans plus tôt, baptisée « le massacre de la Toussaint ». À la fin du cahier figurait les derniers mots d’une certaine Lily Tran, laquelle accusait Archibald Jaeger et Victor Swan de les avoir emmurés vivants, ses camarades et elle. Une phrase en particulier surprit l’inspectrice : « Nous avons gardé le Secret des Anges trop longtemps. »

Le proviseur Swan fit son apparition, alerté par les détecteurs installés dans la grotte. Il prétendit que ces adolescents faisaient partie d’une secte, l’ordre de Nyx, qui extrayait et raffinait de la Lymphe Noire au sein du lycée. Après le massacre de la Toussaint, l’évêché avait envoyé un nouveau chef d'établissement, Archibald Jaeger, pour restaurer la discipline. Swan, alors jeune surveillant, avait dénoncé à son supérieur les élèves qui continuaient de fabriquer de la ténébrine. Après leur disparition mystérieuse, le pion serait allé voir la police pour accuser Jaeger, mais on ne l’avait pas pris au sérieux et il avait été renvoyé. Victor Swan, nommé proviseur bien des années plus tard, avait reçu la mission de protéger l’accès de cette grotte, charge qu’il partageait avec Denis Mignot.

Érin comptait interpeller Swan et contacter ses collègues, mais l'administrateur lui révéla qu’il avait lui-même appelé des renforts. L’inspectrice paniqua ; elle assomma Swan et s’enfuit dans les profondeurs de la caverne en quête d’une sortie qui n’existait peut-être pas.

Après un long périple dans des boyaux parfois inondés, l’Irlandaise tomba sur un lac sous-terrain sans issue apparente. La policière désespérée se fia au porte-bonheur de Finbar O’Malley et trouva en elle la force de se battre. Elle finit par dénicher un passage immergé menant au lac Tiamat et échappa de peu à la noyade. Alors qu’elle se croyait sauvée, quelque chose s’enroula autour de sa jambe et l’attira dans les abysses.

 

 

FLASH-BACK : Londres, samedi 30 août, deux heures après l’arrestation du gourou de la Congrégation Luthérienne Sataniste.

 

Sean Sinclair programma une entrevue discrète au pied de la cathédrale Saint-Paul avec l’une de ses agentes nommée Emrona. La guerrière colossale parut chuter directement du toit de l’édifice. Entre ses mains se trouvait la tête du dernier assassin qui venait d’essayer d’exécuter Érin McKenzie – un être non humain d’après la forme anormale de ses oreilles. Emrona rappela à son supérieur hiérarchique qu’il s’agissait de la quatrième tentative en l’espace de quelques mois.

 

« Vous savez que je ne pourrai plus la protéger quand elle vivra à Éden, gronda la guerrière. L’autoriser à partir, c’est de la folie ! »

 

Mais le dandy espérait que les types qui en voulaient à sa filleule laisseraient tomber dès qu’elle aurait quitté l’Angleterre. Malgré les moyens dont il disposait, il avait malheureusement échoué à démasquer l'individu qui avait placé un contrat sur sa tête.

Sean Sinclair était en réalité le chef du DASC, le Département des Affaires Spéciales de la Couronne. Il refusait de mettre Érin dans la confidence par crainte de la voir enquêter sur ces ennemis tapis dans l’ombre et découvrir l’existence du surnaturel.

 

 

Mercredi 15 octobre

 

Bull poursuivit ses investigations sur Edouard Favener en écumant les bars glauques, mais il fit chou blanc. Il rejoignit ensuite Léo Drouet, en planque devant l’Élysion ; si Favener travaillait pour le Syndicat, il n’était pas hors de propos de supposer qu’il traînât dans le casino clandestin de la mafia.

Hélas, le gardien de la paix n’obtint pas de meilleurs résultats que son supérieur. Ce dernier rentra chez lui afin de terminer de s’enivrer, torturé par son impuissance dans l’affaire Herrera et la peur viscérale d’appeler sa mère, en Espagne, pour lui annoncer la triste nouvelle.

Jeudi 16 octobre

 

Érin reprit connaissance à l’arrière de la voiture de Léo. Celui-ci avait reçu un appel étrange lui demandant de se rendre de toute urgence sur une plage du lac Tiamat où il avait trouvé l’Irlandaise inconsciente. Le jeune policier était en train de la conduire à l’hôpital, mais Érin s’y opposa fermement. Léo insista.

 

« Je t’emmène aux urgences, et rien de ce que tu diras ou feras ne pourra me faire changer d’avis. »

 

L’inspectrice se servit alors de ses charmes pour convaincre son chauffeur de renoncer. Ils finirent à l’hôtel Debussy et passèrent une nuit torride.

 

 

Durant son sommeil, Érin fit un rêve macabre dans lequel elle se promenait sur un champ de bataille parsemé de cadavres, à l’ombre étouffante du château d’Éden. Elle fut rejointe par un vieil homme encapuchonné qui, d’un geste de la main, ouvrit le sol sous ses pieds et l’enterra vivante.

 

 

Au réveil, Érin se remit difficilement de son cauchemar. Pendant que Léo prenait une douche, elle effectua des recherches sur les noms découverts dans le registre de la caverne de Saint-Thomas ; tous étaient des élèves ayant été tués lors du Massacre de la Toussaint, à l’exception des six qui avaient disparu sans laisser de traces quelques semaines plus tard, ainsi que deux autres non identifiés : L. Nox et E. Rathbani.

Léo remarqua un étrange tatouage sur le dos d’Érin ; un tatouage qu’elle n’avait pas la veille. Les caractères tibétains lui rappelèrent le mantra qu’elle croyait avoir entendu alors qu’elle gisait sur la plage, transie de froid. L’inspectrice émit l’hypothèse qu’elle avait été sauvée des eaux du lac par le moine bouddhiste aperçu par Léo la nuit du meurtre de Denis Mignot.

 

 

Edouard Favener fut retrouvé mort à son domicile par une patrouille venue faire cesser le tapage musical ayant pour origine son appartement. Les lieutenants Steven Duflot et Leïla Gacem débutèrent les investigations. Lorsque Bull arriva sur les lieux, le commandant Duprat de la brigade scientifique lui fit un rapide topo : Favener était décédé depuis plusieurs jours, à première vue, d’un coup de couteau en plein cœur. L’absence de sang indiquait que le corps avait été déplacé. Tout laissait suggérer que l’on avait transporté le cadavre jusqu’à son domicile durant la nuit avant de mettre la musique à fond, dans le but que la police trouvât la dépouille. Pour Bull, cela n’avait aucun sens.

Quand Érin arriva sur les lieux, elle remarqua une disposition anormale des pièces de l’appartement. L’inspectrice décela une chambre secrète où Favener pratiquait des rites démoniaques. L’idole manquait à l’intérieur du meuble d’autel. Dans une caisse en provenance d’un extracteur de Luminescence, les enquêteurs découvrirent des fioles de Lymphe Noire au lieu des batteries qu’elle aurait dû contenir.

 

 

À l’IML, le Dr Berthon exposa ses conclusions à Bull, Érin et Léo. Favener était bien décédé d’un coup de couteau au cœur, mais il aurait également été électrocuté. Sur son torse était tracé un symbole mystérieux comportant un pentacle renversé, traversé de lignes et de cercles.

 

« Si l’on y regarde d’un peu plus près, on constate que l’incision est plus profonde au cœur des sillons. Ce symbole a été réalisé avec un laser de grande précision peu de temps avant la mort, quelques heures tout au plus. La chaleur du rayon a cautérisé instantanément les entailles. Les premières analyses ne révèlent aucune présence de substance anesthésiante, ce qui rend cette œuvre… diaboliquement miraculeuse. Le cercle est parfait en tout point, l’étoile est symétrique et l’ensemble est bien centré. Notre victime a dû faire preuve d’une volonté d’acier pour rester immobile durant le tracé. »

 

Puisque les heures des décès d’Edouard Favener et Luisa Herrera coïncidaient, ainsi que l’arme utilisée pour les deux meurtres, Érin énonça une terrible théorie : Favener et Luisa pourraient avoir été victimes d’un sacrifice humain.

Bull pria Berthon de vérifier s’il n’avait rien raté sur le corps de Luisa. Hélas, ce dernier avait mystérieusement disparu du compartiment réfrigéré où il reposait.

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La police remua ciel et terre pour retrouver la dépouille manquante, en vain. Bull, ivre de rage, était persuadé que les sacrificateurs étaient venus récupérer le cadavre pour les narguer ou s’adonner à des rites impies.

Les lieutenants Gacem et Duflot découvrirent que l’adresse de livraison indiquée sur le conteneur de Lymphe Noire trouvé chez la seconde victime correspondait à un entrepôt situé sur les quais. Le bâtiment était loué par le consortium chinois Diyu Corporation, lequel réglait également le loyer de Favener. Érin se souvint que Tarask l’avait avertie que Roman Marciniak rendait des comptes à un certain Wang. Elle y vit le signe d’une collaboration entre le Syndicat et ce conglomérat asiatique.

Érin exposa sa théorie à son partenaire : en prélevant la Luminescence du sol, le consortium Koron avait peut-être découvert des gisements de tenebrae, la pierre qui servait à fabriquer la Lymphe Noire. Favener, infiltré comme agent de sécurité à Hipparkhos, faisait sortir la drogue des sites d’extraction et l'expédiait à l’entrepôt loué par les Chinois.

Bull écouta attentivement le récit de sa coéquipière dans la caverne de Saint-Thomas, mais il ne fut pas convaincu de l’implication d’un moine bouddhiste dans son sauvetage. Érin décida de lui montrer son tatouage tibétain afin de prouver ses dires, mais ce dernier avait disparu comme par magie. L’inspectrice se rendit compte également que toutes les photos du laboratoire clandestin et des squelettes des adolescents avaient été effacées de la mémoire de son téléphone. Ne restait en sa possession que les pages du registre arrachées à la hâte et le pendentif de Lili Tran.

 

 

Fâchée par l’incrédulité de son partenaire, Érin grimpa sur le toit du commissariat dans le but de décompresser. Un gardien de la paix vint à sa rencontre et chercha à l’éliminer. L’Irlandaise s’en tira de justesse avec un bras cassé.

À peine le ripou menotté, un moine bouddhiste apparut sur le toit. L’inspectrice se sentit menacée, mais le bhikkhu lui annonça qu’il était un ami de Tarask, que ce dernier, grièvement blessé, lui avait demandé de la protéger. Malgré sa cécité, l'ecclésiastique d'origine asiatique raconta l’avoir sortie des eaux du lac Tiamat et l’avoir soignée avec une inscription mystique ; une pratique qu’il renouvela sur le champ afin de guérir son bras cassé.

 

« Accrochez-vous à vos certitudes, et le monde vous semblera moins fou qu’il ne l’est. »

 

Érin suspectait Victor Swan de lui avoir envoyé l’agresseur qui gisait toujours, inconscient, face contre terre. Le bouddhiste réfuta cette théorie. Il prétendit que, d’après Tarask, un tueur à gages avait déjà essayé d’éliminer l’inspectrice deux jours avant qu’elle ne s’introduisît à Saint-Thomas. Le ripou menotté préféra se jeter du toit plutôt que d’être interrogé. Le bhikkhu disparut avant l’arrivée des renforts, alertés par la chute de leur collègue aux viles intentions.

Érin passa la nuit à l’hôpital, bien que son bras fût partiellement guéri. Le tatouage qu’elle arborait sur celui-ci convainquit Bull que le moine bouddhiste ne sortait pas de son imagination, ni de celle de Léo.

Vendredi 17 octobre

 

Le lendemain, Bull récupéra sa coéquipière à l’hôpital. Pendant qu’ils traversaient la ville embouteillée, l’inspecteur informa Érin que les lieutenants Duflot et Gacem étaient sur la piste du transporteur qui assurait les livraisons à l’entrepôt des quais.

De son côté, Bull s’était lui-même renseigné sur les lycéens disparus trois décennies plus tôt. C’était son ancien mentor, Robert Girardin, qui n’avait pas pris en compte le témoignage de Swan incriminant le proviseur Jaeger. L’enquêteur avait alors un autre suspect dans sa ligne de mire : le père Élias, un professeur de Saint-Thomas un peu trop proches des élèves, d’après certaines sources.

Le prêtre aurait été muté quelques semaines après les disparitions et n’avait pas fait reparler de lui. Quant à Archibald Jaeger, il était devenu prélat de l’Oculus Dei, l’organisation catholique intégriste dont les parents d’Érin faisaient partie.

 

 

De plus en plus dépassés par l’occulte qui engluait leur enquête, les policiers, sous l’impulsion d’Érin, effectuèrent des recherches dans les boutiques ésotériques de la vieille ville. Ils ressortent de la première sans réponse, et de la deuxième avec un tirage de tarot plutôt pessimiste.

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Ils finirent la matinée au Valaskjálf et rencontrèrent son gérant, Alrik, un type à la carrure de guerrier Viking, mais dont la tenue et l’attitude évoquaient plutôt un brahmane hindou. Dans le rayon dédié aux antiquités, Érin crut apercevoir un coffre familier parmi une multitude d’autres articles, mais il s’avéra qu’elle avait halluciné.

Alrik autorisa les inspecteurs à consulter les ouvrages les plus controversés qu’il proposait à la vente. Pendant que Bull se concentrait sur les livres traitant du satanisme, Érin s’intéressa à ceux abordant la mythologie nordique ; une créature cauchemardesque nommée « Mara » lui rappela le songe dans lequel elle tuait accidentellement son parrain avant de décapiter le monstre qui tentait de l’étouffer.

Alrik proposa de les aider dans leurs recherches. Les inspecteurs l’interrogèrent sur les rites sataniques et sacrificiels, ce que le gérant qualifia rapidement de folklore. Il aiguilla néanmoins Érin vers les athamés qu’il vendait ; des poignards sacrés.

Bull estima qu’ils perdaient leur temps et quitta la boutique. Érin, en revanche, capta une conversation intéressante entre Alrik et l’un de ses clients, adepte de la mode gothique. Ce dernier, un collectionneur du nom de Gilles Laval, s’évertuait à négocier le prix d’un flacon supposé contenir l’essence du démon Sargatanas. Il exposa à l’inspectrice des théories alambiquées sur la nature de l’Enfer et de ses habitants, ainsi que sur les pratiques sacrificielles dans les différentes civilisations ayant foulé la Terre.

Ni Alrik ni Laval ne connaissaient Edouard Favener, pas plus que l’étrange symbole gravé sur son torse. Avant de quitter la boutique, Érin acheta un pendentif égyptien en forme de scarabée, car il lui rappelait la dernière conversation qu’elle avait eue avec Tarask. Elle acquit également un livre, « Éveiller sa Kundalini en cent jours », dont la couverture lui évoquait un poster que Favener avait affiché chez lui. Le gérant du Valaskjálf lui narra une vieille légende :

« À l’origine, les humains étaient des dieux, mais ils firent usage de leur divinité à mauvais escient. Brahma décida de leur ôter leurs pouvoirs divins et de les cacher là où ils ne les retrouveraient jamais. Les autres dieux proposèrent à Brahma d’enterrer la divinité de l’homme dans les entrailles de la Terre, de la jeter dans les abysses les plus insondables, et même de la dissimuler sur la lune. Mais Brahma savait qu’un jour ou l’autre, l’Homme pourrait atteindre tous ces endroits. Il décida donc d’enfuir la divinité de l’Homme là où il n’aurait jamais l’idée d’aller la chercher : au plus profond de lui-même. Depuis ce jour, l’Homme fait le tour de la Terre, explore, creuse, plonge, voyage sur la lune, en quête de quelque chose qui se trouve en lui. »

 

 

Bull en avait profité pour appeler les lieutenants Gacem et Duflot. Ceux-ci avaient réussi à faire parler le chauffeur du camion qui assurait le transit entre l’extracteur de Luminescence et l’entrepôt des quais. Il certifiait que les ordres de mission étaient transmis par une société, la SDLMA, et que Favener supervisait les livraisons avec l’aide d’Anthony Wén.

Érin se remémora le témoignage de Victor Swan et sa propre réaction face au mur de tenebrae de la caverne de Saint-Thomas. Elle supposa que Wén était devenu fou à force d’être exposé à la Lymphe Noire, tout comme Jordan Gonthier, lors du bal de la Toussaint trois décennies plus tôt.

Ces éléments mis bout à bout rappelèrent à Bull une affaire vieille de cinq ans. Un ancien élève de Saint-Thomas, Kylian Tisserant, avait massacré ses colocataires sur le campus universitaire. Il prétendait être possédé par un démon, si bien qu’il avait réussi à échapper à la justice et avait été hospitalisé en psychiatrie. Or, à l’époque, la mère de Tisserant affirmait qu’il avait changé depuis le bizutage qu’il avait subi au lycée. Enfermé dans l’in-pace de l’ancienne abbaye, l’adolescent aurait trouvé un pendentif en pierre noire qu’il aurait ensuite porté autour du cou. Bull avait récupéré ce bijou dans les scellés afin de le montrer à Érin ; il s’agissait bien de tenebrae.

Les inspecteurs décidèrent de se rendre à l’hôpital Solitude afin d’interroger la psychiatre de Tisserant, une sommité en matière de sciences religieuses.

Sur le chemin menant au parking, Érin frôla le malaise lorsqu’elle fit face à la silhouette du château fort, sous le regard perçant d’une corneille.

 

 

Sur la route, Bull et Érin furent contactés par les lieutenants Gacem et Duflot. Les locaux de la Société de Distribution et de Location de Matériel Agricole (SDLMA) étaient vides ; il s’agissait vraisemblablement d’une société-écran. Gacem, bien renseignée sur le trafic de Lymphe Noire, expliqua que la nouvelle drogue s’exportait principalement vers la Chine, au grand désarroi de la mafia italo-américaine qui peinait à fournir le marché outre-Atlantique. Les recherches sur Anthony Wén s’étaient avérées infructueuses ; cet homme n’existait pas dans les bases de données. Les inspecteurs y virent la confirmation que les triades chinoises et le Syndicat étaient de mèche pour alimenter en Lymphe Noire le marché asiatique.

 

 

Pendant que les agents du BEC patientaient à l’hôpital Solitude, Érin bouquina « Éveiller sa Kundalini en cent jours ». Elle apprit dans ce livre que l’Enfer bouddhiste se nommait « Diyu » en chinois. Ce lieu était administré par dix « rois », « wang » en chinois, ce qui correspondait étrangement au nom de l’homme à qui Roman Marciniak rendait des comptes, d'après Tarask.

Les inspecteurs rencontrèrent enfin la Dre Sandra Ophaniel, docteure en sciences religieuses, experte judiciaire, et grande admiratrice de Charles Baudelaire. Bull et elle entretenaient une inimitié de longue date. La spécialiste identifia le symbole retrouvé sur le corps de Favener comme un sigil démoniaque, mais elle ignorait lequel. Elle prétendit posséder un livre sur ce sujet dans son autre bureau, au sein de son Unité de Soins de Haute Sécurité. Les policiers furent obligés de déposer leurs armes avant de s’y rendre.

Le second bureau de Sandra Ophaniel contenait des dizaines de tableaux où figuraient des anges ; le thème principal de l’art-thérapie qu’elle exerçait avec ses patients. Quand Érin l’interrogea sur le Secret des Anges, la psychiatre lui raconta une histoire que se partageaient les angéologues :

 

« Quand Adam et Ève ont désobéi à Dieu en mangeant le fruit défendu, ils auraient obtenu une part de la connaissance divine et l’auraient transmise à leur descendance. Celle-ci en aurait fait mauvais usage, ce qui poussa le Seigneur à provoquer le Déluge. Afin d’éviter que les survivants ne réitèrent les erreurs de leurs ancêtres, Dieu aurait demandé à ses anges de celer les savoirs issus de l’Éden. Chaque soir, notre ange gardien déposerait un baiser sur nos paupières pour nous rendre aveugles aux mystères du sacré. »

 

Malgré ses recherches, la Dre Ophaniel n’arriva pas à remettre la main sur le livre traitant des sigils, le Lemegeton. Elle supposa l’avoir prêté aux soignants du service. Elle invita donc les policiers à la suivre.

La psychiatre trouva enfin le Lemegeton dans le bureau des infirmiers. Elle identifia le symbole retrouvé sur Favener comme la marque d’Astaroth, une entité démoniaque parfois confondue avec la déesse Astarté.

Bull subtilisa une carte d’accès. Il comptait interroger Kylian Tisserant sans l’aval de la professionnelle de santé. Il avait, en outre, relevé un lapsus dans le discours d’Ophaniel qui le laissait penser qu’elle était impliquée dans le meurtre de Favener.

À la haine que l’inspecteur vouait à la psychiatre, Érin comprit qu’il avait eu une aventure avec elle, et que cela s’était mal terminé. Bull avoua qu’il s’était rapproché d’elle cinq ans plus tôt afin de s’assurer qu’elle déclarât Tisserant responsable de ses actes devant un tribunal, ce qu’elle avait promis de faire avant de changer d’avis.

 

 

Bull était inquiet depuis plusieurs jours. En sortant du bureau du procureur en début de semaine, il avait appris que l’avocat de Kylian Tisserant avait transmis une demande de transfert dans une unité de réadaptation psychosociale, avec l’accord de Sandra Ophaniel. Il était hors de question que l’enquêteur laissât le jeune schizophrène rejoindre un service faiblement sécurisé sans vérifier qu'il ne représentait plus une menace pour le monde extérieur.

Érin et Bull localisèrent Kylian Tisserant à l’intérieur d’une chambre d’isolement recouverte d’inscriptions mystiques du sol au plafond. Dans un premier temps, le patient parut stabilisé. Seulement, quand l'inspecteur montra à Kylian son ancien pendentif en pierre noire, le schizophrène devint plus véhément, plus provocant, jusqu’à ce qu’il éjectât le Pitbull de la pièce et s’enfermât à l’intérieur avec Érin.

 

« Sans clé, point d’accès au tombeau d’Érebos. Les siècles passent et les humains sont toujours attirés par le sang coagulé d’un dieu oublié dont les fils et les filles furent bannis de ce monde. »

 

Tisserant déploya une force phénoménale. Sa voix changea. Ses iris virèrent au jaune flamboyant et se fendirent d’une pupille elliptique, semblable à celles des serpents. L’entité se présenta comme le démon qui avait pris le contrôle du corps de Kylian et énonça des secrets liés au passé d’Érin, au sujet des activités terroristes de son père.

Il l'attaqua, lui confisqua la pièce porte-bonheur de Finbar O’Malley et l’avala. L’inspectrice se débattit, en vain, jusqu’à ce qu’elle saisît dans sa poche le scarabée acheté à la boutique d’Alrik. Son poing serré autour du bijou causa de sévères brûlures à Tisserant, lequel lui cracha au visage que son père avait souvent pensé à la tuer et à l’enterrer dans le jardin.

Le patient possédé finit par arracher le pendentif – qu’il qualifia de « relique de l’Ombremonde » – des mains d’Érin et l’étrangla. Juste avant de perdre connaissance, l’inspectrice se projeta dans l’esprit de la corneille qui l’observait depuis son arrivée à Éden. À travers ses yeux, elle revit chacune des tentatives d’assassinat dont elle avait été victime.

Sa vision l’emmena également dans un parc, la nuit où Sandra Ophaniel, Edouard Favener et un homme énigmatique en costume rouge avaient sacrifié Luisa Herrera au centre d’un immense sigil d’Astaroth. Le mystérieux individu avait ensuite poignardé Favener.

Érin reprit connaissance ; Bull avait enfoncé la porte et repoussé Tisserant à coups d’extincteur. Des infirmiers et des agents de sécurité étaient en train de le maîtriser. Sandra Ophaniel accusa les inspecteurs d’avoir fait régresser l’état de son patient. Érin, bouleversée, convainquit son coéquipier de quitter les lieux sans faire de scandale.

 

 

FLASH-BACK : Londres, vendredi 26 septembre, 3 jours avant le départ d’Érin pour Éden.

 

Au QG du DASC, Sean Sinclair n’était pas serein, car malgré les efforts de ses subordonnés, il n’avait pas réussi à identifier la personne qui avait mis un contrat sur la tête d’Érin. L’un de ses agents les plus fidèles – une manifestation éthérée des souvenirs de Sir Winston Churchill – lui recommanda de cesser de se ronger les sangs pour sa filleule sur le point de s'envoler pour Éden.

Bien qu’il espérât que les tentatives de meurtre prendraient fin une fois Érin hors de l’Angleterre, Sean décida tout de même de prendre quelques précautions. Il contacta un certain Finbar O’Malley, un cluricaune résidant dans la Cité de Lumière qui lui devait un grand service. Le chef du DASC souhaitait que Finbar offrît une de ses pièces porte-bonheur à Érin afin de la protéger en cas de danger, et ce, sans divulguer le pouvoir surnaturel de cet écu.

Le cluricaune refusa, mais quand Sean le menaça de révéler à son royal cousin Iubdan son implication dans le financement de la Grande Purge, Finbar n’eut d’autre choix que d’accepter.

Sean, toujours décidé à tenir Érin loin des mystères de l’Ombremonde, connaissait suffisamment sa filleule pour savoir qu’elle se méfierait du cadeau d'un quidam se présentant spontanément à elle. Il élabora donc un stratagème visant à convaincre Érin d’aller à la rencontre du cluricaune. Il utiliserait pour cela un message psychique se déclenchant en cas de danger de mort.

Le chef du DASC fut interrompu dans ses réflexions par la présence d’un oiseau – qu’il pensait être l’un corbeaux de la Tour de Londres – à sa fenêtre. Il s’agissait en réalité d’une corneille qui prit son envol quelques secondes plus tard.

 

 

Éden, vendredi 17 octobre

 

Tandis que Bull conduisait sur l’autoroute reliant Solitude et Éden, Érin repensa à sa confrontation avec Tisserant, à la force surnaturelle du démon, à ses révélations troublantes. Comment connaissait-il le terrible secret de son père, Roan, véritable tortionnaire des Partisans de la Réunification de l’Irlande ? Depuis qu’elle avait surpris ce dernier en plein interrogatoire alors qu’elle était enfant, Érin était sujette aux cauchemars.

Bull lui raconta l’histoire des Yù Lù pour lui changer les idées. Le Cerf de Jade était une organisation criminelle parisienne composée de descendants d’immigrés asiatiques vénérant une divinité à l’effigie d’un cervidé. Douze ans plus tôt, le chef de la DGSI, Thomas Bergier, aurait collaboré avec les autorités chinoises pour neutraliser cette organisation. Si officiellement, Pékin était restée sourde aux demandes de Bergier, ce dernier aurait en revanche obtenu l’aide des triades originelles que les Yù Lù agaçaient. Ceux-ci avaient été décimés en une nuit.

À l'époque où Bull, par mesure de précaution, avait décidé de rassembler des informations compromettantes sur le CASI, notamment concernant ses liens avec la mafia chinoise, il n’avait réussi qu’à découvrir un nom : le roi Zihao. Zihaowang en mandarin ; une dénomination qu’Érin rapprocha des rois du Diyu, bien qu’il ne fît pas partie de la liste officielle des Dix Rois de l’Enfer, les Shidian Yanwang.

Léo Drouet appela les inspecteurs pour leur annoncer qu’il avait vérifié l’alibi de Gilles Laval la nuit du meurtre sacrificiel. Il se trouvait au Noctis, un bar gothique du centre-ville.

Érin envisagea de prendre quelques jours de congé afin de rentrer en Irlande. Les paroles de Tisserant avaient réveillé de douloureux souvenirs qu’elle devait évoquer avec son père.

Gacem et Drouet contactèrent Bull et Érin. Le chauffeur du camion avait avoué qu’à chaque livraison de ténébrine à l’entrepôt des quais, il conservait une caisse. Il la déposait ensuite à une adresse située dans le vieux centre, un grossiste en boissons nommé « Sin Drinks ». Cependant, la veille d’être dénoncé à Fabrice Caserio par mail anonyme, Favener aurait détourné la caisse vers son propre logement.

Bull recontacta Drouet afin de l'envoyer en planque devant Sin Drinks, mais le gardien de la paix se rappela avoir vu le logo de cette société sur les cartons d’alcool livrés au Noctis. Il proposa de retourner interroger la gérante, une certaine Lucinda Nox.

Aussitôt, Érin établit le lien avec l’un des noms non identifiés du registre de Lily Tran : L. Nox. Un membre de l’ordre de Nyx ayant fabriqué de la Lymphe Noire au lycée Saint-Thomas, trente ans plus tôt, dirigeait aujourd’hui une boîte de nuit dont l’un des fournisseurs se procurait de la ténébrine auprès du Syndicat. Cela ne pouvait être un hasard.

Ce fut à cet instant qu’un camion se coucha sur l’autoroute, provoquant un carambolage sur le pont de la malemort. La voiture de Bull s’encastra dans la barrière de sécurité. Un être masqué et encapuchonné sauta alors de la remorque du poids lourd renversé, s’approcha du véhicule des enquêteurs et le poussa dans le vide. La Ford de Bull finit sa course dans le fleuve.

 

« Son apparence ne lui inspirait que frayeur et désespoir. Son long manteau à capuchon dégageait quelque chose de cérémonieux, de lugubre. Il portait un masque insolite évoquant un heaume de templier que l’on aurait refaçonné pour le rendre à la fois plus terrifiant et plus proche d’un visage humain, suintant d’inhumanité. »

 

Érin parvint à s’extraire de la voiture, à remonter son coéquipier à la surface et à le ramener sur la rive. Le tueur masqué sauta du pont et plana dans les airs jusqu’à la berge. L’inspectrice lui tira dessus, mais son armure résista aux balles. L’assassin dégaina un sabre japonais, s’approcha de sa proie. Cependant, il stoppa son geste létal à la dernière seconde en entendant le craillement d’une corneille, perchée sur une branche non loin de là. Après un moment d’hésitation, il épargna Érin et disparut sans piper mot.

Bull reprit connaissance, mais puisque son front avait heurté le volant lors de la chute, il s’efforça de rester tranquille en attendant l’arrivée des secours.

Assise au bord du fleuve, Érin se remémora les récents évènements qu’elle associa au tirage de la cartomancienne effectué le matin même. Elle dressa un bilan de tous les phénomènes étranges auxquels elle avait assisté, repensa à toutes les personnes atypiques qu’elle avait croisées depuis son emménagement, songea au surnaturel qui la fascinait et l’effrayait à la fois. Elle ressentit l’envie, le besoin, de rentrer sur son île natale, de tourner le dos à cette ville où elle allait périr prochainement si elle s’obstinait à y demeurer.

Grâce aux craillements stridents de la corneille, Érin réalisa qu’elle se trouvait sous l’influence d’une entité invisible, céleste, qui ne tenait vraisemblablement pas à ce qu’elle poursuivît son exploration sur la voie de l’ésotérisme. L’inspectrice rejeta la présence envoûtante et remercia la corneille pour son intervention. Bien décidée à découvrir la vérité, Érin se déclara prête à voir ce que l’oiseau cherchait à lui montrer.

 

 

L’écorce de l’arbre sur lequel le volatile était perché s’effrita, laissant apparaître un aubier noir dans lequel Érin plongea son regard. À la surface ténébreuse se reflétait son double maléfique à la crinière rouge. L’inspectrice s’enfonça dans un océan obscur rempli de mystères défiant l’imagination. Cette vision effrayante et fascinante manqua de l’emmener aux frontières de la folie. Elle y croisa des entités célestes, démoniaques, divines, spirituelles, y compris le souverain de l’Enfer, le dieu qui se cachait derrière les Dix Rois du Diyu.

Érin fut ensuite projetée dans un désert, face aux 42 juges de l’Au-delà dont Tarask lui avait parlé. Terrifiée, convaincue qu’elle allait échouer au test, elle chercha à fuir, mais elle fut enchaînée par les quatre fils d’Horus dont l’effigie ornait les vases canopes de l’ancienne Égypte. Anubis se dressa devant elle afin de procéder à la pesée de son cœur, mais le dieu embaumeur ne parvint pas à lui transpercer la poitrine ; un bouclier magique protégeait Érin.

Hélas, Anubis finit par l’emporter. Il plongea ses griffes dans la cage thoracique de la défunte. À sa grande surprise, il n’y trouva aucun cœur, ingrédient essentiel au rituel du jugement, car cet organe représentait le siège de la conscience, de la personnalité et de la mémoire.

Un rire lointain attira alors l’attention de l’inspectrice.

 

« Un homme se tenait sur le seuil du Royaume des Morts, avec un coffre à la main. Le soleil rouge qui y était gravé, escorté par deux lions, brillait de la même lueur que celle qui avait repoussé durant un temps le dieu embaumeur. La policière ne parvenait pas à distinguer le visage de celui qui s’esclaffait dans les ténèbres, mais la corneille perchée sur le coffre, ça, Érin ne pouvait la manquer. »

 

C’était à l’intérieur de ce coffre que son père l’enterrait dans le cauchemar provoqué par l’absorption de ténébrine, ce même coffre qu’elle avait aperçu dans le temple mortuaire où la Mara l’avait attaquée, ce même coffre qu’elle avait cru voir dans la boutique d’Alrik, au milieu d’autres antiquités.

Incapable de donner un sens à cette vision, Érin se sentait perdue. S’agissait-il de son passé ou de son avenir ? Était-elle condamnée à échouer lorsqu’elle se présenterait devant le tribunal des âmes ? Pourquoi avait-elle l’impression qu’on lui avait volé son cœur ? Elle rejeta cette réalité, convaincue qu’elle pourrait changer sa destinée.

Érin entendit alors la voix de son père tyrannique lui reprochant pour la énième fois sa naïveté. Sous le coup de la colère, elle lui ordonna de se taire. L’Irlandaise se retrouva aussitôt face à l’arbre écorché, devant une image de son Roan, égorgé. Érin se mit à pleurer des larmes de la couleur de l’encre.

 

 

EPILOGUE

 

À Solitude, la Dre Ophaniel rendit visite à Kylian Tisserant dans la chambre d’isolement renforcé où il était attaché. Elle lui reprocha d’avoir laissé Érin McKenzie s’échapper alors qu’elle avait tout fait pour la conduire à lui. Elle avait disposé les cadavres de Luisa et Favener de manière à ce que Bull les trouvât et suivît la piste ésotérique jusqu’à ce lieu.

Tisserant souhaiterait qu’Ophaniel le libérât afin qu’il pût achever l’Irlandaise, mais l’experte en sciences religieuses prit quelques précautions. Pour contrer la désobéissance du démon, la psychiatre lui imposa un sigil sur le front, le sceau de Salomon, avant de lui confier une lame de rasoir.

De retour dans son bureau, Sandra Ophaniel se plongea dans la plume baudelairienne.

 

« Je reconnais ma belle visiteuse :

C’est Elle ! noire et pourtant lumineuse. »

SCEAU SECRET DE SALOMON LONG_edited_edit
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